La Liberté, édition en ligne

EN MÉMOIRE DE SON PÈRE

Manuel Calisto est décédé de la COVID-19 au foyer Maples en novembre 2020. Sa fille, Eddie Calisto-tavares, souhaite honorer la mémoire de son père en témoignant des conditions et de la gestion du foyer de soins de longue durée. Le foyer fait d’ailleurs

ANDRÉ BOISJOLI Collaboration spéciale

Le père d’eddie Calisto-tavares, Manuel Calisto, a séjourné dans le foyer de soins de longue durée Maples de 2019 jusqu'à son décès, dû à la COVID-19, en novembre 2020. Le foyer faisant actuellement l'objet d'une enquête, Eddie CalistoTavares témoigne des conditions et la gestion du foyer.

Pouvez-vous nous parler de votre père?

Mon père avait 87 ans quand il est entré à Maples, il est mort à 88 ans.

C’était un immigrant, il est arrivé au Canada en 1972 avec six enfants et sa femme. J’étais l’aînée de la famille. Il est venu pour offrir des opportunités et créer une meilleure vie pour nous tous. Il a travaillé très dur toute sa vie, il était très dévoué envers sa famille et nous étions très dévoués envers lui. Il était atteint de démence cinq ans avant d’entrer à Maples, c’est pourquoi il s’est retrouvé dans ce foyer à partir de juillet 2019.

Pourquoi le foyer Maples?

On me demande souvent pourquoi j’ai choisi le foyer de soins de longue durée Maples. Nous l’avons choisi parce qu’il a vécu dans ce coin de Winnipeg pendant 37 ans. Nous avons choisi Maples sans savoir qu’il y avait des clivages entre le lucratif et le non lucratif. Nous n’avions aucune idée de tout cela lorsque nous avons pris cette décision en famille.

On avait effectué des recherches et regardé différents endroits. On cherchait pour une chambre privée, avec beaucoup de lumière naturelle.

Donc le foyer Maples semblait un bon compromis…

Oui. De 2019 jusqu’à l’arrivée de la pandémie en 2020, mon père a été bien pris en charge. Nous lui rendions visite tous les jours. Quand on demandait des choses, le personnel s’en occupait. Nous étions de fervents défenseurs de notre père.

Nous n’avons pas eu de problèmes jusqu’à l’arrivée de la COVID-19, où des restrictions ont alors été mises en place, interdisant toute visite de la famille. Là encore, nous voulions défendre notre père, alors je me suis battue pour le voir.

Mon frère et moi avons été désignés comme soignants pour notre père, nous avions un horaire à respecter et nous ne pouvions rester que dans sa chambre.

Comme vous pouvez l’imaginer, beaucoup d’autres personnes n’étaient pas autorisées à entrer et les choses ont progressivement empiré avec le temps.

Quand avez-vous réalisé une baisse de la qualité des soins?

J’ai remarqué cette baisse de qualité lorsque le gouvernement a pris la décision d’interdire aux travailleurs de foyer de soins à longue durée de passer d’un établissement à l’autre.

Les foyers de soins à but lucratif comme Maples, qui est une des propriétés de Revera (1), n’engagent pas de personnel à temps plein. Par conséquent, pour obtenir un temps plein, un soignant doit travailler dans plusieurs établissements Revera.

Donc à l’annonce de la décision du gouvernement, l’équipe de Revera n’a pas embauché de nouveaux employés, elle s’est contentée de gérer avec un personnel très réduit.

De plus, la famille et les bénévoles n’étaient plus les bienvenus. Comment pouvaientils possiblement gérer les soins de leurs résidents?

Ils ne pouvaient pas gérer des soins en pleine pandémie…

Le 21 octobre 2020, je suis allée voir mon père comme d’habitude. La sécurité m’a dit à travers la vitre que je n’étais pas autorisée à entrer. Ils n’ont pas voulu me dire pourquoi.

J’ai alors appelé le directeur de l’établissement et lui ai dit : Vousdevezmediremaintenant pourquoijenepeuxpasentrer!

Ce n’était pas normal, je savais que quelque chose n’allait pas. Avant l’éclosion, tout se passait plutôt bien, j’avais le droit d’entrer avec mon équipement de protection individuelle.

Votre âme de défenseuse était toujours présente…

Je n’ai jamais quitté les lieux, je suis restée dehors et j’ai passé des appels pour essayer d’obtenir des réponses. Je ne voulais pas partir avant qu’on me dise pourquoi je ne pouvais pas rentrer. D’autres familles qui essayaient d’entrer ont été refoulées. J’ai informé les familles de ce qu’on m’avait dit à l’époque.

J’ai ensuite reçu un appel du directeur des soins m’informant qu’il y avait une éclosion au sein du foyer. Plusieurs membres du personnel avaient été testés positifs à la COVID-19.

Cette nuit-là, tout le monde a reçu des appels préenregistrés nous informant qu’il y avait une éclosion.

Comment avez-vous appris que votre père avait la COVID-19?

Le 27 octobre 2020, mon père a été testé pour la COVID-19. À 9 heures du matin, le 29 octobre, j’ai appelé le directeur des soins en insistant pour connaître les résultats. Il était positif.

J’avais besoin de trouver un plan, l’anniversaire de mon père

allait être le 1er novembre. Mon père n’a jamais été seul pour son anniversaire, sauf en 1972, lorsqu’il est venu au Canada avant nous.

On m’a bien sûr dit que je ne pouvais pas venir, mais je leur ai dit : Nevousinquiétezpas,je vaistrouverunmoyen.

Comme je suis persistante, j’ai élaboré un plan et l’ai soumis à Revera. Je me suis installée dans un hôtel, j’ai fait un test de COVID-19 avant de partir et j’ai suivi une formation. À partir du 31 octobre, je suis allée m’occuper de mon père trois fois par jour.

Vous étiez à l’intérieur de cette éclosion…

La première chose que j’ai remarquée, c’est qu’il y avait beaucoup d’agents de sécurité. Ils avaient engagé une société de gardiennage pour parcourir les couloirs et garder les résidents dans leurs chambres. Il n’y avait pas d’aide-soignants en vue. Il y avait une infirmière pour 100 résidents à un moment donné.

Ils ont embauché quelques étudiants par le biais d’une agence de placement. Comme la nourriture n’était pas préparée sur place, puisque le personnel de cuisine était malade, les étudiants avaient pour tâche de distribuer la nourriture qui était apportée.

Le problème est que ces personnes ne connaissaient pas les résidents, qui étaient atteints de démence et ne pouvaient pas se nourrir euxmêmes, ni aucune information sur les résidents.

J’ai pris le téléphone, j’ai parlé à des politiciens de tous les différents partis politiques et j’ai ensuite contacté les médias. Petit à petit, l’histoire s’est répandue.

Et parmi tous ces résidents, il y avait votre père dont la santé était en déclin…

Mon père était très malade, il était en bonne forme physique avant la COVID-19, et il a été alité du 1er novembre jusqu’à sa mort, le 11 novembre. J’étais informée qu’il était asymptomatique jusqu’au 10 novembre. C’était évidemment faux.

Il y avait une infirmière en particulier avec qui mon père s’entendait bien. Elle savait s’occuper de lui. Elle avait même appris à parler le portugais, la langue maternelle de mon père.

Elle est revenue après avoir été testée négative pour la COVID-19 pour donner le dernier sacrement à mon père. Je n’ai même pas pu faire venir un prêtre. Mon père était catholique, et même si je ne suis pas pratiquante, il était important pour lui que certaines choses soient faites d’une certaine manière lorsqu’il allait mourir.

J’ai pu amener mes frères et ma belle-soeur pour dire au revoir à mon père. Mon mari est allé prévenir les voisins, puisque mon père vivait dans le quartier, pour qu’ils organisent une veillée devant sa fenêtre.

Parkview Place, un autre foyer de soins de longue durée à Winnipeg, ayant fait l’objet d’éclosions majeures de COVID-19, va fermer ses portes en 2022. Êtes-vous soulagée par cette annonce?

Je suis heureuse que le gouvernement ait enfin entendu. J’ai lu des rapports remontant à 15 ans où il y avait des infestations et un manque de soins. Parkviewplace a été le premier foyer de Revera au Manitoba, en 1961.

Il est incroyable de penser que plusieurs gouvernements ont permis à Parkview Place de perdurer aussi longtemps. Je suis heureuse que l’endroit ferme ses portes.

Mais maintenant, je veux savoir ce que le gouvernement va faire, et comment il va déplacer les gens qui étaient à Parkviewplace. Est-ce qu’ils vont tenir compte de l’avis des familles, de celles qui sont présentes et actives, et des défenseurs de la communauté? Il faut assurer une bonne transition de ces personnes âgées qui ont été si gravement négligées et maltraitées.

Après avoir constaté vousmême les défauts des systèmes des foyers à soins de longue durée, qu’avezvous fait pour essayer d’améliorer les choses?

J’ai participé à plusieurs réunions avec la ministre fédéral des Aînés, Deb Schulte. Nous voulons que chaque province change le modèle de soins.

Il y a tellement de bonnes façons pour les personnes âgées de vivre de façon indépendante, en bonne santé et de vivre pleinement leur vie.

Parkviewplace n’est pas cela, c’est une prison.

(1) Revera Inc. est une entreprise canadienne qui offre hébergement, soins et services aux personnes âgées. Elle possède et exploite des résidences pour retraités et des établissements de soins de longue durée.

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2021-10-13T07:00:00.0000000Z

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