La Liberté, édition en ligne

Daniel Lavoie, face au plus beau métier du monde

Laëtitia KERMARREC [email protected]

Musicien professionnel depuis plus de 50 ans, Daniel Lavoie témoigne de l’évolution de sa carrière au gré du processus de numérisation de la musique. Carrière marquée par les années florissantes des ventes de disques et bientôt récompensée par un prix au Gala Trille d'or.

«Je suis chanceux. J’ai connu la grande époque, celle où on vendait encore des disques. C’est d’ailleurs la manière dont on présentait les artistes :

Daniel Lavoie, qui a vendu tant de millions d’albums.

« On pouvait dire que la musique avait une vraie valeur. Quand on payait 30 $ pour un disque, on valorisait le travail de l’artiste. Le métier de musicien était encore une profession honorable et respectée. Un métier difficile et exigeant certes, mais qui avait ses compensations.

« De mon expérience, je dirais que le dernier soubresaut avant l’effondrement des ventes de disques se situe vers l’an 2000. Pour notre spectacle de comédie musicale Notre

Dame de Paris, on avait réussi à vendre dix, peut-être même 15 millions d’albums, et à remplir des centaines de salles de spectacle.

« Puis, progressivement, la musique a perdu de sa valeur. Elle est devenue quelque chose de beaucoup plus dérisoire. Les maisons de disque ont commencé à disparaître pour laisser place au numérique.

« Finalement, ce que l’internet et les plateformes numériques ont réussi à faire, c’est de prendre l’argent des artistes. (1) Il y a bien quelques moments de reconnaissance ici et là, mais qui restent très sporadiques. À part les très grandes stars bien sûr, qui arrivent encore à tirer leur épingle du jeu.

« C’est au point où la perspective de faire carrière en musique de nos jours est, je pense, quasi inexistante, peu importe le talent de la personne. Et puis les carrières sont beaucoup plus courtes qu’avant. On voit des artistes qui ont un ou deux succès, avant d’être remplacés par d’autres. »

Si le portrait esquissé paraît sombre, Daniel Lavoie tient cependant à souligner qu’il ne

« Dunrea, où j’ai grandi, est un village à 250 kilomètres à l’ouest de Saint-boniface. J’y ai vécu ma petite enfance, j’y ai appris ma langue. La province fera donc toujours partie de mon sang et de mes os. » - Daniel LAVOIE

souhaite pas décourager les jeunes artistes. « Je continue de penser que musicien est le plus beau métier du monde. D’ailleurs, je peux me tromper sur ces plateformes, parce que je n’y suis pas vraiment branché. Ça me demanderait beaucoup trop de temps et d’énergie, que je n’ai pas forcément envie d’investir. »

| Persévérance

« Au moins, je reste conscient des difficultés que le monde numérique pose pour les artistes par l’intermédiaire de mon fils, Joseph, qui débute sa carrière de musicien avec son projet appelé manymasks. »

Fort de ses expériences avant la numérisation de la musique, Daniel Lavoie recevra le Prix Hommage à l’évènement pancanadien Gala Trille Or le 19 juin. (2) « Ce prix récompense l’oeuvre de toute ma vie, en tant qu’artiste. Et il célèbre la francophonie qui survit en dehors du Québec. C’est un titre de courage et de persévérance. »

Déménagé au Québec il y a 50 ans, le natif de Dunrea n’en reste pas moins attaché au Manitoba. « Je ne me sens pas seulement Manitobain, mais profondément FrancoManitobain. On ne peut pas arracher ses racines. Et de toute façon, je n’en ai pas envie. Je suis bien heureux comme ça. » L’auteur de la célèbre chanson

Jours de plaine, composée pour être animée en dessins par Réal Bérard, s’accorde un moment face à lui-même. « Dunrea, où j’ai grandi, est un village à 250 kilomètres à l’ouest de SaintBoniface. J’y ai vécu ma petite enfance, j’y ai appris ma langue. La province fera donc toujours partie de mon sang et de mes os.

« Ce qui m’a fait partir du Manitoba, c’est un peu le hasard, et le besoin d’aventure. Depuis mes quatre ans, j’ai un goût pour la musique. J’avais commencé à me professionnaliser vers la fin des années 1960, à travers le 100 Nons.

« Plus tard, dans ma vingtaine, alors que je suivais des études au Collège SaintBoniface, des amis musiciens ont décidé de partir au Québec. Moi aussi je me sentais stimulé par l’envie de connaître autre chose. J’ai choisi de les accompagner. Eux sont revenus au Manitoba. Moi je ne suis jamais reparti du Québec.

« J’ai donc naturellement adopté beaucoup de traits de la culture québécoise. C’est un pays vibrant et extrêmement intéressant. C’est pour des idées bien précises que j’y suis resté. J’y ai trouvé des avantages personnels, culturels et sociaux. Et en plus, je peux vivre en français.

« De ma province d’origine, il me reste certainement ma façon d’être et d’aborder la vie. Il ne faut pas oublier que j’ai grandi en milieu minoritaire. Ça m’a inévitablement placé dans une certaine position culturelle et sociale qui façonne mon attitude.

« Le Manitoba fait également toujours partie de mes chansons, puisqu’il définit ma personnalité. Et de manière plus flagrante, il est au premier plan de certaines d’entre elles, comme Jours de plaine. »

(1) Voir article Pourquoi la “classe moyenne” des artistes paraît vouée à la disparition dans cette même édition.

(2) Le prix Hommage rend publiquement hommage à un(e) artiste ayant contribué à l’industrie musicale francophone de l’ouest ou de l’ontario, et ayant connu un succès global dans sa carrière.

« C’est au point où la perspective de faire carrière en musique de nos jours est, je pense, quasi inexistante, peu importe le talent de la personne. » - Daniel LAVOIE

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2021-06-16T07:00:00.0000000Z

2021-06-16T07:00:00.0000000Z

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