La Liberté, édition en ligne

Pensionnats autochtones : témoignage et réflexions d’un ancien archiviste

Madame la rédactrice,

À la lumière de la découverte déchirante des restes de 215 enfants au pensionnat autochtone de Kamloops, j’ai mené ma propre réflexion concernant mon vécu quant à ma propre connaissance des cultures autochtones et métisse. Alors que j’entamais un programme de maîtrise à l'université du Manitoba à la fin des années 1960 et au début des années 1970, une des rares fois où je me souviens d’avoir abordé le sujet des Premières Nations, c’était dans le contexte de l'histoire de la Nouvelle-france. Après 1760 : silence total, comme si elles avaient cessé d'exister. Elles glissaient dans l’anonymat, voire passaient aux oubliettes. Même les cours de spécialisation au niveau de la maîtrise sur le Manitoba et l'ouest canadien n'abordaient aucunement ce passé, et encore moins le présent. Ma maîtrise portait sur Mgr Louis-philippe-adélard Langevin, archevêque, à la tête de la province ecclésiastique de SaintBoniface de 1895 à 1915.

Mes recherches portaient sur la question scolaire du Manitoba et la manière dont elle avait affecté ses relations avec les communautés franco-manitobaine, irlandaise, ukrainienne (appelée à l’époque les Ruthènes), polonaise et allemande. J’avais également examiné ses relations avec le gouvernement libéral de Wilfrid Laurier au niveau fédéral et avec le gouvernement conservateur de Rodmond Roblin à l’échelle provinciale.

En étudiant ces questions, principalement à partir des archives de l'archidiocèse de Saint-boniface, j'avais trouvé de nombreuses références aux pensionnats autochtones, mais je n’avais pas prêté attention à ce sujet.

Il m’a fallu attendre 1995 avant que le sujet commence à me préoccuper, du fait d'un programme d'histoire orale entrepris par les Archives du Manitoba, programme qui comprenait des ateliers. Pour pratiquer ce que je prêchais, j’ai fait quelques interviews, dont une a survécu.

Le sujet des pensionnats autochtones n’était pas nouveau pour certains d’entre nous. Mais pour moi, c’était de l’inédit.

En 1985 j’entamais une interview avec Gilbert Abraham, de la tribu des Saulteaux de la Nation des Objibwés, qui me raconta ses expériences d’enfance dans un pensionnat où il avait été sexuellement agressé de toutes les façons possibles, où il se faisait laver la bouche avec du savon s'il parlait sa langue maternelle et où il devait travailler sept jours par semaine à faire du jardinage en été et remplir diverses corvées en hiver. Le traumatisme de son enfance a débuté au moment où il a été séparé de sa famille et de ses proches.

Je me souviens aussi très bien du père Adrien Darveau, o.m.i., de la paroisse de Saint-pierre du Lac Caribou au Lac Brochet, qui m'avait contacté à propos d'un film 16 mm dont il voulait obtenir une copie vidéo.

Lorsqu'il est venu aux archives pour récupérer la copie VHS, on a visionné le film ensemble. Le père Darveau m'a expliqué que les enfants autochtones embarquaient dans un hydravion qui les emmenait à un pensionnat autochtone à environ 400 milles de chez eux.

Atteints de tuberculose, morts de malnutrition ou souffrant d’abandon, certains de ces enfants ne reviendraient pas. Pour les jeunes qui retournaient chez eux, parfois ils ne pouvaient plus parler que l’anglais, alors que les parents ne parlaient que le cri. Dans ce film, on pouvait voir les parents debout sur la rive du lac Brochet, regardant leurs enfants monter à bord d'un hydravion pour quitter l’endroit de leur enfance. Deux pères Oblats sont arrivés un jour pour visionner ce film aux archives. Alors qu’ils quittaient, j’ai entendu le commentaire : « Après tout ce que nous avons fait pour eux…», commentaire qui laissait entendre que le travail des Oblats n’avait pas été tellement apprécié. De nombreux films 16 mm existent dans les archives, puisque les Oblats pouvaient se permettre ce genre d'équipement. Au fil des années, les détenteurs de ces films venaient me voir pour les transférer au format vidéo, généralement format VHS.

Les archives ont conservé le film original et ont fait une copie maîtresse de 3/4", transférée plus tard sur une copie HD de 3/4". (Sans doute qu’il existe de nouvelles technologies pour assurer l’accessibilité et la préservation de ces films.) J'ai souvent montré ces films lors d'ateliers d'histoire orale que j'organisais pour des personnes venant des Premières Nations. Invariablement, quelqu'un reconnaissait un parent ou un ancêtre, ce qui faisait l’objet de discussions et de commentaires. Dans mes années comme archiviste, j’avais aussi organisé un atelier de trois jours à Yellowknife pour les Premières Nations. À part le Centre de folklore de l'université Laval et certains travaux en cours à l'université Laurentienne à Sudbury, j'étais le seul au Canada anglais à entreprendre ce genre de travail.

Je disais souvent aux participants qu'un jour, il faudrait qu’euxmêmes donnent ces ateliers et qu’ils seraient mieux placés pour donner des conseils. J'essayais d'en apprendre davantage sur les Premières Nations et sur la façon d'interagir avec elles, mais je restais une personne blanche, même si j’avais grandi en partie au sein d’une communauté francophone entourée d'une mer anglophone, où on nous rappelait de speak white.

Pour venir à la triste réalité présente, j’ai envoyé un courriel à un petit groupe qui se rencontre régulièrement sur Zoom suite à une discussion sur les pensionnats autochtones. Je disais que malgré toutes les excuses de la part des gouvernements, tous les Autochtones n’ont toujours pas accès à de l’eau potable.

On ne fait que continuer à leur demander pardon, à donner des explications et des justifications futiles. Il est vrai qu’on a peutêtre fait du progrès en termes de connaissance sur les Autochtones. Au point où un journaliste disait que cette question semble avoir détourné l’attention des Canadiens par rapport aux droits linguistiques au Québec.

Il demeure qu’on est toujours en attente d’actions concrètes pour venir en aide à ces peuples autochtones. Quand allons-nous enfin amorcer des changements qui apporteront des transformations profondes à ce qui a été un génocide?

Gilbert Comeault ,

le 6 juin 2021.

À Vous La Parole

fr-ca

2021-06-16T07:00:00.0000000Z

2021-06-16T07:00:00.0000000Z

https://numerique.la-liberte.ca/article/281522229036536

La Liberte