La Liberté, édition en ligne

Un nouveau service pour tenter d’éviter le pire

Ruby PRATKA Collaboration spéciale

Une ligne de crise téléphonique en français pour les personnes suicidaires, potentiellement suicidaires ou touchées par le suicide d’un proche est désormais accessible au Manitoba et partout au Canada. Il s’agit de la première ligne d’aide téléphonique centralisée nationale bilingue consacrée à la prévention du suicide.

La ligne de crise a été mise sur pied en 2020 par Crisis Services Canada (CSC) en collaboration avec l’association canadienne pour la santé mentale et le Centre de toxicomanie et de santé mentale. Le financement du projet est assuré à long terme par l’agence de santé publique du Canada.

Stephanie Mackendrick, PDG de CSC, note que « la plupart des pays du G7 ont des lignes de prévention de suicide centralisées depuis des décennies. Celle du Canada existe seulement depuis 2017, après 15 ans de plaidoyer de la part d’un groupe informel, le Réseau canadien des lignes de détresse. »

Avant la mise en place de la ligne de crise pancanadienne, les personnes en crise avaient recours à un patchwork de lignes de détresse assurées par des organismes provinciaux, locaux ou caritatifs, qui n’étaient pas nécessairement accessibles 24/7 et n’offraient pas toujours un service bilingue.

« Les gens ont le droit d’être desservis dans les deux langues officielles. Notre but ultime est de pouvoir fournir des services bilingues, 24/7, par téléphone, par clavardage et par messagerie texte. »

Les services par texte et par clavardage ne sont pas encore disponibles en français, mais devraient l’être dans les prochains mois.

Ce sont des employés et des bénévoles de Suicide Action Montréal (SAM) qui répondent maintenant aux appels de chaque coin du pays, en plus de ceux de la métropole québécoise. Luc Vallerand, directeur général de SAM, qui a proposé le projet-pilote initial en 2019, remarque : « Afin de desservir la population anglophone de Montréal, nous avons toujours exigé que nos intervenants soient bilingue. »

Le projet-pilote a été déployé en février 2020, avant d’être élargi à la grandeur du pays à la mi-mars 2020.

Trois appels par jour

« Au début, on ne voulait pas faire beaucoup de publicité. On craignait les conséquences d’une trop forte demande. Maintenant, on est en mesure de promouvoir nos services auprès de nos partenaires francophones hors Québec, pour qu’ils sachent qu’un service de prévention de suicide en français existe. »

Du début du projet-pilote à la fin février 2021, le service a reçu 911 appels de francophones hors Québec. Potentiellement, il pourrait s’agir de deux à trois vies sauvées chaque jour. Toutefois, Luc Vallerand et ses partenaires aimeraient aller plus loin.

« Trois appels par jour, je ne pense pas que ça reflète le vrai nombre de personnes qui pourraient bénéficier de notre service. » Car le nombre d’appels au Québec a bondi de 20 pour cent dans les premiers mois de la pandémie.

Des professionnels en santé mentale et des militants pour l’accès aux soins en français hors Québec ont applaudi le projet, tout en émettant certaines réserves. Comme Annie Bédard, directrice générale de Santé en français au Manitoba.

« Une ligne de crise bilingue au Manitoba, c’est effectivement un besoin. Mais nous n’avons pas été consultés. Pour mieux desservir nos communautés, il faudra qu’ils nous consultent. »

Réponse de Stephanie Mackendrick : un comité consultatif incluant des membres des communautés francophones hors Québec est en train d’être constitué.

« On tient à consulter les communautés, mais on voulait surtout rendre la ligne d’aide disponible rapidement. Ultimement, on aimerait avoir un centre d’opérations dans chaque province, appuyé par les communautés francophones. Mais l’infrastructure n’est pas encore là. »

Jacques Verge est secrétaire de l’organisme Égalité Santé en français, qui milite pour l’accessibilité des services de santé en français au Nouveau-brunswick. Bien que son organisme n’ait pas été consulté, il est en faveur du projet. Il craint toutefois que dans les régions du pays où les services de santé en français font défaut, comme la sienne, son utilité sera limitée, faute de services de suivi.

« On met un pansement sur le problème, parce que nous avons un manque de psychiatres et de psychologues. Chez nous, ça prend un an avant d’avoir un rendez-vous avec un psychologue dans le réseau public francophone. La ligne de crise est un outil, mais elle ne peut pas être la solution. »

Un filet de sécurité

Au Manitoba, Manon Talbot porte le titre de psychologue associée. Elle travaille comme contractuelle au Centre Renaissance, qui obtient des contrats avec des organisations comme l’université de SaintBoniface ou Santé Sud pour assurer des services en santé mentale.

Elle croit qu’une ligne de crise bilingue pourrait sauver des vies dans les communautés francophones.

« Quand on est en crise, le fait de pouvoir nous adresser à quelqu’un dans notre langue maternelle est important. Parce que même si on est bilingue, on n’a pas nécessairement le vocabulaire pour parler de comment on se sent. Pouvoir s’exprimer dans sa langue ajoute un filet de sécurité extraordinaire. »

Cependant, comme Jacques Verge, elle considère que le service n’apporte qu’une solution partielle.

« Une ligne de crise permet d’assurer qu’une personne ne s’enlève pas la vie. Mais une fois l’urgence passée, il faut pouvoir la diriger vers d’autres services. Or au Manitoba, l’accès aux services de deuxième et de troisième ligne en français reste extrêmement pauvre. »

Manon Talbot, membre de l’ordre des psychologues québécois depuis 1998, souligne que Santé Sud et le Centre de santé Saint-boniface sont en mesure d’offrir certains soins de santé mentale en français, mais l’accès à ces programmes publics dépend du lieu de résidence des participants potentiels. Il n’y a pas de services disponibles à la grandeur de la province.

Celle qui a aussi sa propre clientèle privée observe néanmoins une prise de conscience des bénéfices potentiels d’un soutien psychologique en français et constate en parallèle une demande accrue pour ces services au Manitoba.

« Il y a certes de plus en plus de volonté de mettre l’épaule à la roue et de faire des projets innovants en santé mentale. Mais en même temps, les listes d’attente s’allongent vite. »

La ligne de prévention de suicide de Crisis Services Canada (1-833-456-4566) est disponible en tout temps en français et en anglais.

Prévention Du Suicide

fr-ca

2021-05-05T07:00:00.0000000Z

2021-05-05T07:00:00.0000000Z

https://numerique.la-liberte.ca/article/281590948429256

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